La blockchain et les artistes visuels : un amour fou
Matthieu Quiniou, avocat co-fondateur de Legal Brain, docteur en droit
La blockchain a le potentiel pour renouveler et amplifier le marché de l’art dans une économie numérique et donner sa juste place à l’artiste dans le partage de la valeur.
Preuve d’antériorité avec l’horodatage décentralisé, gestion de l’anonymat de l’artiste avec la preuve à divulgation nulle de connaissance, création de rareté avec des NFT (non-fongible token), simplification de la vente, fractionnement des droits sur l’œuvre, automatisation de la distribution des redevances et du paiement du droit de suite avec les contrats intelligents sont autant d’apports de la blockchain pour les artistes visuels et les acteurs de ce marché.
« Aucune technologie depuis la Renaissance n’a réorienté aussi radicalement le pouvoir et le contrôle entre les mains de l’artiste » selon Ben Gentilli / Robert Alice, auteur de l’œuvre intitulée « Block 21 » première œuvre vendue aux enchères par Christie’s le 7 octobre 2020 avec un jeton non-fongible de blockchain (Non-Fungible Token – NFT) pour un prix d’adjudication de 131 250 USD (évaluée initialement entre 12 000 et 18 000 USD).
Les fonctions primaires de la blockchain : transactions désintermédiées et horodatage
Pour appréhender les usages de la blockchain en matière d’arts visuels et de marché de l’art, le préalable est de resituer cette technologie dans sa fonction initiale. La blockchain est un registre distribué permettant de s’assurer sans tiers de confiance qu’une transaction a bien eu lieu à une certaine date et que le vendeur a bien été dépossédé et l’acheteur mis en possession. Cette fonction permet d’une part d’éviter la double-dépense (double spending) dans une relation de pair-à-pair et d’autre part d’horodater ou estampiller des transactions et autres évènements.
La réponse technique au problème de la double-dépense est également utile pour attester de la traditio, c’est à dire de la nécessité de transmettre physiquement le bien pour opérer le transfert de propriété. La notion de traditio, issue du droit romain est inexistante en droit français, mais centrale en droit allemand de la vente avec la dingliche Einigung. Avec la blockchain le processus de réification opère pleinement, la traditio est rendue possible dans un écosystème numérique et décentralisé.
L’horodatage, estampillage ou ancrage par blockchain représente une des premières utilisations de la blockchain hors du domaine du paiement. De nombreuses solutions techniques se sont développées dans ce domaine, que ce soit par des professions réglementées ayant un rôle d’officier public (notaires, huissiers…) ou des entreprises innovantes, par exemple, dans le domaine de la preuve d’antériorité en matière de création artistique pour proposer des alternatives décentralisées et numériques aux enveloppes Soleau, des entreprises françaises comme IPOCAMP ou BlockchainMyArt, soutenus par des sociétés d’auteurs (notamment la Sacem), se sont spécialisées dans ce type de services.
Les contrats intelligents et l’ouverture du champ des possibles pour les acteurs du marché de l’art
Si l’ancrage d’une œuvre est intéressant pour l’artiste dans le cadre d’un éventuel contentieux pour prouver l’antériorité de sa création, cet ancrage seul a un usage limité pour la commercialisation des œuvres et des droits de propriété intellectuelle associés.
Ce n’est qu’avec la deuxième génération de blockchain, à partir de 2015, tout particulièrement avec la blockchain Ethereum et grâce aux contrats intelligents (smart contracts), que les catégories de crypto-actifs se sont multipliées et que ces derniers sont devenus réellement programmables. En parallèle des crypto-monnaies comme le bitcoin d’autres crypto-actifs, souvent qualifiés de jeton (token) ont fait leur apparition avec des crypto-actifs utilitaires (utility tokens), portant sur des droits de propriété (asset tokens) ou qualifiables juridiquement de produits financiers (security tokens).
Les NFT : la création de rareté dans l’économie numérique
Les jetons portant sur des droits de propriété peuvent être utilement formalisés avec des codes informatiques de jetons virtualisant la rareté, les NFT. Les NFT se définissent par leur caractère unique, non interchangeable et spécifiquement identifiable (au-delà de leur historique de transaction). Dans l’écosystème de la blockchain Ethereum de nombreux standards ont été créés pour ces contrats intelligents et des codes audités sont utilisés ce qui limite les bugs, les piratages et améliore l’interopérabilité. Le standard principal de contrat intelligent pour produire des NFT sur Ethereum est le standard ERC-721. Plus flexibles, d’autres standards ont été créés notamment pour répondre aux besoins grandissants dans les projets blockchain axés sur les jeux-vidéos comme Enjin, avec le token ERC-1155 permettant d’instancier une multitude de jetons, fongibles et non fongibles à partir d’un même contrat intelligent et donc de limiter les coûts de fonctionnement sur la blockchain. Dans le cas d’Enjin, ce standard est utilisé pour émettre des objets collectionnables d’édition limitée, des objets de jeux, des souvenirs, des codes de réduction ou encore des récompenses d’accomplissements dans des jeux.
Le dynamisme des NFT dans les jeux-vidéos, s’est d’abord illustré à travers le projet pionnier Crypto-Kitties sur la blockchain Ethereum. Ce projet ludique permet la création et l’échange de figurines numériques de chats uniques, qu’il est ensuite possible de collectionner ou de revendre. L’intérêt suscité par ce projet lors de son lancement en 2017 a saturé la blockchain Ethereum, de manière encore plus intense que les services de finance décentralisée (DeFi) pendant l’été 2020.
Les NFT qui ont fait leur apparition dans le secteur des jeux-vidéos, secteur devenu dominant en quelques années en matière de divertissement, commencent également à être utilisés pour l’art numérique, qui ne bénéficie pas de support physique comme marqueur de rareté et dans l’art visuel pour retranscrire virtuellement les droits sur le support physique d’une œuvre.
Le marché de l’art : un marché de la rareté
L’économie numérique n’a pas encore pleinement renouvelé le modèle économique des arts visuels et une part importante des artistes plasticiens ou numériques ne parvient pas à monétiser son art. Le marché de l’art est structuré autour de la notion de rareté et repose sur le caractère collectionnable de son support, généralement une toile ou une sculpture. Ce marché se différencie ainsi profondément d’autres domaines artistiques comme la musique, le cinéma ou le théâtre qui génèrent des recettes principalement au stade de l’exploitation du droit de représentation, dans les arts visuels seules les installations ou les performances peuvent permettre de dégager des recettes de cette manière. Le marché de l’art se distingue aussi du secteur du livre structuré autour de l’exploitation du droit de reproduction et de l’adaptation de l’œuvre. La valeur du livre en tant que support ne tient plus à sa rareté depuis l’invention de l’imprimerie et actuellement les recettes dans ce secteur sont justifiées par la persistance d’une préférence, dans certaines cultures, pour une lecture sur support papier plutôt qu’à partir d’un format numérique.
Au-delà de ces différences structurelles entre les arts visuels et les autres domaines couverts par la propriété littéraire et artistique, il faut noter le rapport symbolique particulier entre l’artiste et l’évaluation de son œuvre, à travers sa cote d’artiste et les proximités de ce mode de fonctionnement avec celui des marchés financiers. Inadapté, voire inadaptable, aux mécanismes de marché et de valorisation de la période industrielle et du mass-média, le marché de l’art pourrait trouver un nouvel élan avec l’émergence d’un Internet de la valeur, promu notamment dans un manifeste par le World Wide Web Consortium (W3C).
Un marché émergent de NFT d’œuvres numériques
Les plateformes de ventes directes ou aux enchères de NFT d’œuvres numériques se multiplient, parmi les plus connues peuvent être citées SuperRare, OpenSea ou Nifty Gateway mais ces plateformes et ce marché restent encore confidentiels. D’après le site internet nonfungible.com qui analyse les données des transactions de NFT, pour le mois de septembre 2020, seules 3 998 ventes de NFT d’œuvres d’art auraient été conclues, pour un montant cumulé d’un peu moins de 2 millions USD et un prix moyen par œuvre de 490 USD.
L’accès à ces plateformes est encore en grande partie limité par des interfaces particulières, utilisant des extensions de navigateurs fonctionnant avec des portefeuilles de crypto-monnaies, permettant de stocker crypto-monnaies et NFT, de payer et d’accéder à l’écosystème Ethereum, comme par exemple MetaMask. Les prérequis technologiques peuvent encore figurer comme des barrières à l’émergence d’un marché blockchain grand public des œuvres d’art numériques.
Les NFT dynamiques ou l’utilisation d’oracles pour les œuvres physiques
Les NFT peuvent également être utilisés pour formaliser numériquement le droit de propriété sur le support d’une œuvre physique et garantir numériquement son authenticité, par exemple, grâce à des puces NFC ou RFID, comme le proposent des entreprises comme Alethia. Contrairement à l’œuvre d’art numérique qui est généralement nativement numérique, l’œuvre physique dispose d’un support (unique ou en tirage limité). Dans le contexte des œuvres physiques, l’intérêt principal de l’utilisation de NFT tient à la fluidification des opérations de vente. Cette approche recoupe la tendance de financiarisation du marché de l’art et l’importance grandissante des ports francs, notamment en Suisse, pour stocker les supports d’œuvres d’art en tenant compte de mécanismes d’assurance des supports et de stratégies d’optimisation fiscale pour les propriétaires de collections d’art.
Si les données sur blockchain sont inscrites de manière immuable et que ces bases de données sont réputées infalsifiables, l’intégration de données extérieures à la blockchain pose le problème classique de la qualité de la donnée et de la fiabilité de sa source. Pour permettre une jonction entre le support de l’œuvre et son titre numérique, une nouvelle catégorie de jetons, les NFT dynamiques est actuellement expérimentée. Le projet blockchain précurseur dans ce domaine est Chainlink. Ces jetons fonctionnent en s’appuyant sur des oracles. Un oracle est une source d’information extérieure à la blockchain à laquelle il est possible de faire confiance pour mettre à jour la blockchain avec des données extérieures. Les oracles sont utilisés pour exécuter certains contrats intelligents conditionnés par un évènement extérieur à la blockchain, par exemple un pari ou une condition suspensive d’un évènement réalisé hors blockchain. Il existe plusieurs catégories d’oracles, les capteurs fonctionnant avec des objets connectés, les logiciels fonctionnant à partir de sources certifiées ou croisées sur Internet, les dispositifs de consultation collective et dans une certaine mesure il est possible d’avoir recours à des tiers de confiance en qualité d’oracles. Les commissaires de justice, cette future profession réglementée, qui existera en 2022 à partir de la fusion des huissiers de justice et des commissaires-priseurs devrait être un oracle particulièrement adapté aux besoins d’un marché de l’art sur blockchain. Actuellement, si les huissiers de justice, à travers leur incubateur SYLLEX ont entamé des travaux s’appuyant sur la blockchain, les commissaires-priseurs n’ont pas entamé de projets d’envergure dans ce domaine. L’intégration de données extérieures certifiées dans la blockchain est également un enjeu de normalisation technique actuel et important. A ce titre, depuis 2020, la Commission Nationale Blockchain à l’AFNOR travaille à la création d’une première norme en ce sens.
Un jeton non-fongible dynamique pourrait, par exemple, permettre la mise à jour de la localisation du support ou attester de la modification du support de l’œuvre, de son exposition, de son utilisation dans une œuvre dérivée ou de sa destruction. Ces différents éléments pouvant avoir des incidences sur la valeur du jeton.
L’amplification des droits patrimoniaux des artistes par la tokennisation
Au-delà de la création de rareté, la blockchain permet avec la tokennisation de faciliter la titrisation et de fractionner des droits dans un écosystème décentralisé en limitant le recours aux intermédiaires. La titrisation des droits de propriété intellectuelle d’artistes a déjà été expérimentée, avec notamment la titrisation de l’œuvre de David Bowie, dans les années 70, avec les Bowie Bonds conçus par le financier David Pullman. Cette titrisation des droits de propriété intellectuelle permet de réaliser une vente fractionnée s’adressant à un public élargi, de renforcer, par un intéressement financier, l’implication d’une communauté de fans dans la valorisation du travail de l’artiste et de permettre à l’artiste de valoriser de manière anticipée des redevances susceptibles d’être générées lors de l’exploitation de son œuvre, de son vivant mais également pendant les 70 ans suivant son décès. Des projets de blockchain ont répliqué ce modèle de titrisation, avec des artistes dans le secteur musical, par exemple, pour l’œuvre de Gramatik qui a été tokennisée et cédée de manière fractionnée par la plateforme SingularDTV. Si ces méthodes paraissent plus immédiatement applicables pour des arts dans lesquels le droit de représentation ou de reproduction est au cœur de l’économie, comme la musique, elles pourraient renforcer des marchés dans lesquels ces droits sont sous-exploités, comme le marché de l’art visuel.
Si le marché de l’art est principalement un marché de la rareté, cela tient essentiellement à la valeur marchande attribuée au support au détriment de la réalité des droits effectivement transférés par l’artiste par la seule cession du support et non de l’œuvre. En droit français, et ce depuis la fin du XIXème siècle, le droit du propriétaire du support de l’œuvre ne restreint que très partiellement les droits de propriété intellectuelle de l’auteur. En effet, selon l’article L111-3 du CPI : « La propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code (…) ».
Actuellement, le marché de l’art est un marché de supports d’œuvres et non un marché d’œuvres, ce qui est problématique pour les courants contemporains d’artistes, particulièrement le street art et l’art numérique.
La tokenisation sur blockchain permet de faciliter l’identification des droits transmis et de concevoir des contrats intelligents portant transmission non seulement du support mais également des droits de propriété intellectuelle patrimoniaux sur l’œuvre.
Cette approche pourrait permettre de repenser l’exploitation des droits de reproduction et de représentation des œuvres graphiques, plastiques et numériques et de redynamiser le marché de l’art par l’ajout de nouveaux actifs, les droits patrimoniaux de propriété intellectuelle sur l’œuvre.
La possibilité d’automatiser et de configurer le droit de suite de l’artiste
Le droit de suite, aussi appelé droit à être intéressé aux opérations de revente, est une rémunération versée aux artistes en fonction d’un évènement, la revente du support de l’œuvre. Le droit de suite est calculé à partir du bénéfice réalisé par le revendeur. A la charge du vendeur, le droit de suite est collecté par les professionnels du marché de l’art, cette obligation de collecte initialement limitée aux commissaires-priseurs, a été étendue aux galeristes, antiquaires et marchands en ligne par la directive 2001/84/CE relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale.
Le mécanisme de droit de suite pour les artistes est une innovation d’un avocat français Albert Vaunois, qui proposait dans la Chronique de Paris en 1893, de revaloriser la situation financière des artistes plasticiens par rapport aux autres artistes, particulièrement les musiciens. La France a été le premier pays à adopter le droit de suite en 1920 et ce droit est actuellement principalement formalisé en droit français à l’article L122-8 du CPI. Ce mécanisme a été progressivement adopté par d’autres pays, principalement à travers la Convention de Berne, telle que révisée à Bruxelles en 1948 avec l’intégration d’un article 14-ter lui étant consacré. Pour autant, même aujourd’hui, le droit de suite n’est pas généralisé et s’il existe dans tous les Etats membres de l’Union européenne, il n’est prévu, pour l’instant, ni en droit américain, ni en droit chinois ni en droit suisse.
Pour pallier cette absence, des initiatives privées isolées sont à noter aux Etats-Unis, avec, par exemple, l’opération au début des années 1970 de l’artiste et galeriste Seth Siegelaub en conjonction avec l’avocat Robert Projansky, ayant donné lieu au contrat Projansky, contrat intégrant une clause de droit de suite dans des contrats de vente du support de l’œuvre. Les contrats intelligents de NFT pourraient s’inscrire dans la continuité de ces travaux.
L’ancien Directeur général de l’OMPI, Monsieur Francis Gurry, indiquait que : « l’environnement numérique et la mondialisation des marchés présentent à la fois des risques et des opportunités, et nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons combler les lacunes dans le domaine du droit de suite ». La blockchain offre des solutions dans le sens d’une amplification du droit de suite par la mise à disposition des artistes de contrats intelligents audités intégrant un droit de suite paramétrable lors de la vente initiale du support de l’œuvre et du jeton non-fongible associé. Ces contrats intelligents peuvent, par exemple, permettre à l’artiste de fixer contractuellement un droit de suite avec un taux plus élevé que celui, souvent dérisoire, prévu par le droit national applicable ou d’imposer un versement du droit de suite dans des opérations de gré à gré (dominantes dans l’écosystème blockchain). Par ailleurs, ces contrats intelligents pourraient faciliter la mise en place d’un versement immédiat du droit de suite à l’artiste sans attendre l’issue de longues procédures de collecte et de traitement administratif.
Cette approche s’inscrit en contraste avec celle des Creative Commons, rendus célèbre par l’universitaire américain Lawrence Lessig, qui ont servi de base théorique pour faire de la production intellectuelle une matière première gratuite pour des méta-plateformes numériques américaines. Au-lieu de restreindre les droits de propriété intellectuelle en ayant recours au droit des contrats, il est possible au contraire d’amplifier les droits de propriété intellectuelle au bénéfice de l’artiste en ayant recours au droit des contrats et à leur exécution automatique sur blockchain.
Le droit de suite, lorsqu’il ne correspond pas à une fraction dérisoire du prix de revente, peut également inciter les artistes à mettre plus d’œuvres sur le marché, sans attendre de bénéficier d’une cote importante ou à privilégier les acheteurs susceptibles de valoriser leur travail sur le marché plutôt que ceux proposant la meilleure offre pour la vente initiale du support de l’œuvre.
Le regard singulier des artistes blockchain sur la monétisation et sa symbolique
Le Bitcoin et les crypto-monnaies ont renouvelé le rapport à la création monétaire en proposant un paradigme monétaire décentralisé programmable. Les artistes utilisant la blockchain pour financer leur œuvre ou inciter aux dons via du micro-mécénat interactif, en intégrant par exemple des QR code pour réaliser des dons sur une adresse Bitcoin dédiée, ont progressivement interrogé cette technologie et ses incidences sociétales dans leurs œuvres.
Si les premières œuvres liées à la blockchain, comme celles de l’artiste français Youl s’intéressaient surtout à l’univers et la symbolique de Bitcoin, des œuvres intégrant des clés privées de portefeuille de Bitcoin ont progressivement été créées. Ces puzzles Bitcoins incitent le spectateur de l’œuvre, par un mécanisme assimilable à celui d’une chasse au trésor, à déchiffrer la symbolique cachée dans l’œuvre et à approfondir sa compréhension du travail de l’artiste. Les artistes payent ainsi l’attention du spectateur pour faire comprendre et amplifier l’intérêt suscité par leur travail. La première œuvre de ce type a été créée avec l’œuvre « The Legend of Satoshi Nakamoto » de l’artiste américaine Marguerite deCourcelle, signant ses œuvres sous le nom de coin_artist et l’artiste anglais Rob Myers. Ce puzzle Bitcoin créé et divulgué en 2014 n’a été résolu qu’en février 2018, les mots clés cachés aux endroits symboliques dans l’œuvre ayant été décodés pour déverrouiller le portefeuille à partir de la clé privée. Des street artists, comme le français Pascal Boyart (Pboy), auteur notamment de « Liberté guidant le peuple 2019 » fresque réalisée à Paris sur le thème du mouvement des gilets jaunes et de la blockchain, se sont également emparés de la méthode des puzzle Bitcoins pour inviter les amateurs d’art à aller voir l’œuvre physiquement dans l’espace public, la clé privée ne pouvant être déchiffrée (et les bitcoins cachés dedans récupérés) qu’à partir de l’œuvre originale, en raison notamment de l’utilisation pour la réalisation de l’œuvre de peinture réagissant à la lumière noire.
Un autre mouvement artistique est en train d’apparaître autour de l’utilisation de la blockchain avec le courant Async Art qui vise à créer, collecter et échanger de l’art programmable. La particularité des œuvres d’Async art est qu’elles sont proposées sous formes de NFT correspondant à l’œuvre entière et également à des couches (layers) ce qui reprend les codes de production des logiciels de création artistique. Ces couches sont vendues séparément de l’œuvre entière et peuvent être modifiées par l’acquéreur en fonction de paramètres prédéfinis par l’artiste, ce qui affecte en temps réel une partie de l’œuvre globale, potentiellement possédée par un tiers.
La technologie et la culture blockchain sont devenues des sources d’inspiration pour les artistes qui jouent avec ces codes et ces outils technologiques spécifiques pour renouveler des courants artistiques en proposant des expériences nouvelles au spectateur, au mécène et au collectionneur.
Conclusion
La blockchain ouvre des possibles pour les artistes visuels non seulement dans la monétisation de leur œuvre mais également dans leur processus créatif tout particulièrement pour les artistes d’œuvres numériques ou éphémères, y compris les street artists. Les NFT, en ce qu’ils permettent d’attester de l’authenticité et de la rareté dans une économie numérique, se généralisent et commencent à être adoptés par des acteurs structurants du marché de l’art, comme les grandes maisons de vente. La position des professionnels du marché de l’art, comme les commissaires-priseurs n’est pas encore clairement définie par rapport à ce phénomène susceptible à la fois de dynamiser leur marché mais également de restreindre la place de certains intermédiaires n’ayant pas la capacité à s’adapter aux mutations. Pour leur part, les sociétés d’auteurs, comme la société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) ou la société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe (SAIF), souvent sensibilisées à cette technologie, ne se sont pas réellement, pour l’instant, emparées en pratique de son potentiel pour proposer de nouveaux services à leurs auteurs et faciliter la monétisation de leur art. Ces dernières pourraient ainsi, par exemple, renouveler leurs réflexions sur le droit de suite et proposer des contrats intelligents audités sur ce point à leurs sociétaires.
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[…] l’auteur/l’artiste dans le partage de la valeur au sein de l’écosystème numérique (M. Quiniou, 2021). Les NFTs pourraient ainsi devenir un outil favorisant une protection plus effective des […]