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Digitalisation des services publics français : le droit est-il un obstacle ou un accélérateur?

Numérique et juridique

Digitalisation des services publics français : le droit est-il un obstacle ou un accélérateur?

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Depuis le début des années 2000, la transformation numérique touche de plus en plus de secteurs comme la santé, l’économie, les transports ou l’énergie. Il s’étend désormais aux  services publics où il doit permettre de nombreux gains. Le premier d’entre eux est de rendre  les services publics plus accessibles aux populations les plus éloignées physiquement ou qui ne peuvent pas se déplacer, par exemple en raison d’un handicap. Pour ces personnes, l’administration numérique représente une opportunité pour lutter contre l’enclavement de certains territoires et assurer le maintien du service public. Un autre avantage à dimension technique ou économique grâce à l’économie d’espace et de traitement matériel. En effet, le traitement des dossiers et des formulaires remplis représente beaucoup de papiers. La digitalisation de ces formulaires permet d’obtenir une meilleure organisation et un gain de temps considérables sur le traitement des dossiers de chacun des usagers du service public. Pourtant nous sommes encore loin d’avoir optimisé tous les processus administratifs en ligne comme l’ont souligné les intervenants du colloque “L’accès au droit et le numérique” organisé par le Barreau de Paris le 21 octobre.

La France est encore loin de l’Estonie

Malgré le succès de ses start ups, la France accuse un retard préoccupant en matière de transition numérique. L’un des pays européens les plus avancés en terme de digitalisation est sans doute l’Estonie. Dans ce pays, tous les citoyens possèdent une identité numérique donnée par l’Etat qui leur permet d’être identifiée avec un lecteur ou de signer des documents numériques par exemple. Cette identité numérique permet aux Estoniens de faire énormément de choses de manière simplifiée tel que voyager au sein de l’UE sans carte d’assurance maladie, de déclarer ses impôts ou même de voter (50% des estoniens ont voté en ligne lors des dernières élections municipales en octobre 2021) ! Le gouvernement a même pour projet de créer une identité numérique transnationale, c’est-à-dire accessible aux étrangers. Cela permettrait à ces personnes de pouvoir créer une entreprise en Estonie beaucoup plus facilement et de participer à la vie publique en tant que e-résidants.

Concernant le service public de la justice estonien, il existe un portail appelé « Public e-file portal » où tous les citoyens peuvent y avoir accès afin d’intenter une action en justice. Ce système est un système de dossier du tribunal en ligne, il s’agit d’un outil qui permet aux tribunaux, aux juges et aux autres autorités impliquées dans une affaire de travailler sur différentes pièces d’une affaire. 1/3 des actions en justice estoniennes sont numérisées et dématérialisées. Pour Kadri KALLAS « L’Estonie était équipée bien avant la situation de la crise sanitaire. Donc même avant mars 2020, l’Estonie avait déjà introduit différents systèmes numériques (Visio dans les tribunaux par exemple). Un tribunal électronique a été développée en 2020, il n’utilise pas de cloud commerciaux et permet aux utilisateurs de s’enregistrer sans logiciels. Le système de e-file a lui aussi été développé de manière plus approfondi notamment en permettant d’envoyer des fichiers plus lourds. ». L’Estonie a donc bien compris les avantages considérables que renfermaient le numérique pour leurs services publics. Au regard des dernières années, il est très probable que la France suive la même voie que son compère européen. Mais est-ce vraiment une voie sans obstacles ?

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La question de l’égalité de traitement 

Prévu par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, l’égalité devant le service public signifie que toute personne a un droit égal à l’accès au service, participe de manière égale aux charges financières résultant du service, et enfin doit être traitée de la même façon que tout autre usager du service. Ainsi, il est de valeur constitutionnelle de prévoir un égal accès au service public. Or, une numérisation totale du service public provoquerait certainement une marginalisation de la population dite « illectroniste ». L’illectronisme, terme désormais retenue pour désigner la difficulté à utiliser internet dans la vie de tous les jours, représente aujourd’hui en France 17% de la population soit plus de 11 millions de personnes. Il n’est alors plus question d’un simple détail ou problème technique, un service public 100% numérique serait un véritable problème de constitutionnalité (du moins aujourd’hui). 

Nicolas KANHONOU, directeur de la promotion de l’égalité et de l’accès aux droits chez Défenseur des droits, affirme que le Défenseur des droits a eu peur d’une totale dématérialisation. En 2017 par exemple, l’Etat avait obligé les usagers du service public à faire les procédures par internet pour refaire les permis de conduire. En 2018, l’idée d’avoir du 100% dématérialisé est restée dans les projets du gouvernement. Un rapport publié par le Défenseur des droits en 2019 intitulé « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics » retrace les difficultés qu’il importe de résoudre avant d’accélérer le mouvement de numérisation du service public. Ces problèmes sont notamment des problèmes d’équipement (tout le monde n’a pas une imprimante, un scanner ou une bonne connexion internet chez soi), un manque d’attention pour une certaine partie de la population (aujourd’hui, seul 13% des sites sont accessibles aux handicapés) ou encore un manque de formation pour les personnes les plus âgés ou illectronistes. Pour remédier à cela, le Défenseur des Droits propose de garantir la pluralité d’accès au service public, que les gens puissent choisir les moyens d’accès, un redéploiement d’une partie des économies, le développement de services publics de proximité ou encore le développement associatif d’accompagnement des usagers. Nicolas KANHONOU conclut : « l’idée est que la dématérialisation des procédures administratives ne peut pas être pensée comme du moins pour les usagers », et ce, même si cela concerne une petite partie de la population.

Un accompagnement numérique qui fait défaut

Jean-François LUCAS, sociologue de la ville numérique / ingénieur-architecte de l’imaginaire, pense dans le même sens que Monsieur KANHONOU : « Il faut pouvoir équiper les personnes par rapport à leurs usages et non l’inverse ». Le sociologue montre que les personnes les plus défavorisées par cet accès à internet sont surtout les classes populaires où les équipements en ordinateur sont plus rares que la moyenne. De plus, il peut aussi y avoir un rapport à la langue française compliqué pour certaines personnes, ce qui fait qu’elles ne privilégieront pas les mails. Selon lui, la formation de ces personnes dans le numérique est très importante car la dématérialisation peut être un facteur de désocialisation extrêmement fort.. Même si le numérique prend de plus en plus de place aujourd’hui, il faut maintenir des contacts physiques, le numérique doit être un complément et non pas la norme.

Pourtant, la dématérialisation des démarches semblent s’accélérer ces derniers temps et le taux de personnes illectronistes ne change pas. Diren SAHIN, juge d’instance et chef du bureau de l’accès au droit et de la médiation, explique que le comité interministérielle de la transformation public est contraint d’aller vers la dématérialisation des démarches. L’objectif du gouvernement est d’avoir en janvier 2022 la totalité des services publics accessibles en ligne. Comme exemple, Madame SAHIN prend le site justice.fr permet aux justiciables d’avoir accès à des fiches thématiques sur les droits des usagers, la possibilité d’orienter le justiciable dans ses démarches, la possibilité de calculer ses droits (AJ, pension alimentaire etc.), accéder à son dossier en ligne, ou encore faire une saisine en ligne (transmettre par voie dématérialisée ses pièces dans les cas où la représentation par un avocat n’est pas obligatoire). Cela permet aussi de regarder l’état d’avancement de sa procédure, de recevoir les récépissés sur cette plateforme, recevoir un SMS de rappel juste avant la date de convocation etc. Mais la procédure papier existe toujours ! Également, un outil appelé SIAJ permet aux justiciables de déposer leur dossier d’Aide Juridictionnelle de manière dématérialisée. Madame SAHIN rassure en expliquant que plusieurs mesures sont mises en place par l’Etat pour permettre aux populations mal à l’aise avec les nouvelles technologies et internet d’avoir accès à un service public de manière égalitaire. Le premier objectif est d’avoir des permanences physiques à moins de 30 minutes du domicile de chaque français. Les services de proximité vont donc être développés. De plus, au niveau de France service, l’objectif est de faire appel à des conseillers numériques. Enfin, les conseils départementaux de l’accès au droit développent des structures pour l’accessibilité numérique (c’est le cas du CCAD des Yvelines qui a crée des permanences pour l’accomplissement de démarches numériques) grâce à l’accompagnement de certaines associations. 

Lorsque ce n’est pas l’Etat qui aide ces populations, il peut s’agir d’autres acteurs, comme l’association Emmaüs par exemple. Tom-Louis TEBOUL, Responsable du développement et des partenariats chez Emmaüs Connect, affirme qu’il est important de rendre le droit à l’accès à internet universel. Aujourd’hui, un français sur 3 a déjà refusé de faire une démarche parce qu’il fallait utiliser internet. Dans une ère où le numérique est quasiment omniprésent, il est urgent d’agir. Comment Emmaüs Connect s’y prend ?

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Il y a tout d’abord l’évaluation du niveau numérique des personnes qui se rendent chez Emmaüs,  puis, en fonction des envies de chacun, il y a la possibilité de s’équiper et d’avoir des moyens de communication de manière solidaire. Des activités d’initiation numériques et de permanences connectées sont également organisées. Tom-Louis TEBOUL dit qu’il faut encore faire des efforts et certains objectifs doivent être atteint pour améliorer la situation. L’un des objectifs est par exemple le don de flottes d’ordinateur par la communauté et ainsi contribuer au développement de reconditionnement solidaire. Monsieur TEBOUL prône l’égal accès au service public et cela passe par la garantie d’un accès au droit à tous.

Même si le numérique comporte beaucoup d’avantages, la transition numérique doit se faire au même rythme que celui de la population. Il est inutile d’être à la pointe de la technologie quand une grande partie de la population a encore des problèmes matériels ou théoriques concernant l’informatique et le numérique. La plupart des intervenants sont d’accord sur le fait que les choses changent, certes, mais encore beaucoup de chemins restent à parcourir avant de créer (peut-être ou peut-être pas) un service public 100% numérique.

Conclusion 

Le droit apparaît à la fois comme un accélérateur de la transition numérique. Les citoyens entendent pouvoir capitaliser sur les évolutions technologiques et techniques pour bénéficier de services plus efficaces. Pour autant le droit aussi est aussi le garant d’un développement numérique raisonné car il présuppose que tout le monde puisse avoir accès à l’administration.

A propos de Legal Brain Avocats

Les mutations technologiques et sociétales doivent être appréhendées avec lucidité et efficacité par des juristes spécialistes et créatifs. Les technologies et notamment les outils numériques imposent un réajustement de pans entiers du droit et des modalités d’exercice des métiers juridiques pour accompagner de manière éthique et durable une société nouvelle. Le cabinet Legal Brain Avocats lie les chercheurs et les professionnels afin de fournir le meilleur accompagnement dans les réponses à ces questions juridiques nouvelles.

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Article rédigé par M.PESCE Florian, juriste au sein du cabinet Legal Brain Avocats (LinkedIn : Florian Pesce).

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